Vogue la galère…

Et voilà, notre balade de 48h en bus est terminée. L’escale d’une dizaine d’heures à Vientiane nous a permis de recroiser Marco-le-cyclo et d’aller récupérer des pièces pour réparer Turbo. Nous arrivons à Luang Prabang avec l’impression d’avoir été passés à tabac toute la nuit tant la route était chaotique et la conduite du chauffeur de bus sportive.

Turbo est toujours là. On est très contents de le retrouver après 2 mois; il est sale et a un pneu crevé mais il est beau comme un camion (…). J’ai un peu de boulot dessus avant de repartir mais après une journée, tout est rentré dans l’ordre. Nous déguerpissons au petit matin pour ne pas perdre de temps. En effet, nous sommes le 3 mars et notre permis Cambodgien stipule que Turbo doit rentrer le 7, et sortir le 11 par Sihanoukville, le grand port situé au sud du pays, et tout ceci est non négociable.

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Si nous retournons au Cambodge, c’est avant tout pour envoyer Turbo par bateau en Iran. Expédier sa voiture par bateau dans un pays d’Asie (dans le jargon, on dit ‘shipper’) n’est pas chose aisée, et n’est surtout presque pas faisable par ses propres moyens. Heureusement, Camille bosse sur le sujet depuis des mois, on a les contacts, on a reçu des offres, tout est prévu. Lim, notre agent maritime nous attend le 9 pour charger Turbo dans un container et l’enverra le 11 se promener en direction de l’Iran. Il a même pour référence d’avoir shippé Matrol vers la France, le 4×4 de nos kinés Simon et Jojo, et ce sans le moindre souci. Tout ça c’est très bien mais ça veut dire qu’il faut pas traîner.

La route qui descend vers le sud depuis Luang Prabang est simplement magnifique, tout en monolithes karstiques et en forêts humides. L’escale du soir se fera à Vientiane et nous mettrons finalement 2 jours de plus à descendre en s’arrêtant pas loin de Thakhek puis du côté des 4000 îles.

La frontière que nous devons franchir est réputée pour être la pire d’Asie du sud-est en ce qui concerne les dons d’argent non consentis envers des représentants de l’autorité de l’état; bref, ça backshish sec.

Les douaniers laotiens refusent de nous tamponner la sortie tant que leurs homologues cambodgiens n’ont pas donné leur accord pour nous laisser entrer. Etrange sachant qu’on a vraiment tous les papiers mais admettons. On arrive dans le bureau des douanes, l’officier et son collègue sont souriants, ça sent plutôt bon pour nous. Le collègue en question commence par nous présenter le document qui nous manque pour passer, qui nous coûtera 55000 riels (5.5€). Il nous propose aussi 2 options: le remplir nous-mêmes ou le faire remplir moyennant paiement. Bon, des frontières on en a passé 1 ou 2 depuis 9 mois, des papiers on en a rempli un peu aussi, on se dit qu’on va faire ça nous mêmes, tranquillement. Ca n’a pas l’air de plaire à notre interlocuteur qui nous menace d’amende si on fait une erreur dans le papier. ‘T’inquiète pas JeanJean, on fera gaffe’. Le sourire se crispe.

Le type nous emmène dans une cahute et me plante devant un PC tout écrit en khmer et rien qui indique où je peux trouver le maudit formulaire. ‘Bah vas-y, t’as plus qu’à trouver le document et à le remplir sans faire de faute, comme apparement tu sais le faire !’ Oui c’est bien ça, il n’a pas apprécié. Après lui avoir poliment expliqué qu’on trouvait ce comportement moins que limite (en faisant gaffe, on ne veut pas lui faire perdre la face) le bonhomme décrète qu’il ne veut plus nous parler. Et bin voilà, il est vexé maintenant. Ca se complique. Nous sortons la botte secrète de tous ceux à qui ce genre de mésaventure arrive, et qui n’a franchement rien de secret: on brandit la menace de l’appel à l’ambassade, le fameux. Le gars n’en a cure. Camille ne se démonte pas, part dans le couloir, ostensiblement armée d’un téléphone incapable de passer un appel où que ce soit et sort son jeu d’actrice. Pas plus de réaction côté douanier. Nous sommes coincés. Pas moyen d’avoir ce maudit document. A court d’argument sensé autant que de bidon, et consternés devant le comportement des mecs, nous décidons d’avoir tout de même recours à notre ambassade, reste à trouver un téléphone.

Le conseil de l’ambassade est d’y retourner et de re-demander gentillement, et surtout ne pas les laisser se fâcher. Bon, merci bien, on a déjà essayé mais on va retenter, des fois que. Cela fonctionne, le gars est d’une arrogance à faire complexer un français mais ça avance. En revanche, il nous explique que le service de remplissage n’a rien d’officiel, et que sa rémunération non plus. Bon en gros, à nous de savoir ce qu’on est capable de payer. 5 dollars passent pas. 10 non plus. Va pour 15 ? Nan. On se croirait dans un souk à Marakech mais non, nous tentons d’obtenir un papier officiel. C’est la mort dans l’âme que je lui tend les 30 dollars sans lesquels il refuse toute discussion quand il daigne se lever et s’executer. Dans l’intervalle, Camille reçoit un message de l’ambassade: ‘si vous arrivez à communiquer avec les douaniers, dites leurs que j’en ai référé au général en chef de l’immigration – ils devraient avoir de ses nouvelles bientôt’. Y connait pas Raoul ce mec ! Ca plaisante pas à l’ambassade. Ca nous rendra pas notre argent mais si les mecs se font un peu remonter les bretelles, ça mange pas de pain. On se passe bien de leur dire, ça leur fera la surprise !

L’histoire ne dit pas si les mecs se sont pris une danse ou non, mais ce qu’elle dit, c’est qu’on a jamais revu le mec vexé, que c’est le gradé lui-même qui nous a apporté notre papier alors qu’on était assis sur un banc dehors, qu’il ne nous a pas demandé de payer les fameux 55000 riels (alors que le mec avait bien insisté sur ce point: ‘c’est pas parce que je vous vole 30 balles qu’il faut pas payer les trucs officiels’), et que tous les gens à qui nous avons eu affaire juste après ont été particulièrement infects… Hmm, une petit gifle, ça réveille, mais ça énerve un peu aussi.

Nous ne demandons pas notre reste, et filons en hurlant de joie dans la voiture, après 5h de lutte à la douane. Nous avons 2 jours pour rejoindre Sihanoukville et nous arrêter à Phnom Penh pour récupérer nos vélos déposés dans un hôtel pour ne pas se les trimbaler dans le bus.

Ça roule plutôt très bien et nous arrivons devant chez Lim parfaitement dans les temps. Le bonhomme arrive torse poil et short. Bon, pourquoi pas. Il nous accueille devant chez lui, regarde Turbo garé à quelques mètres et dit ‘ouais bah non, il va pas rentrer dans le container’. Bien sûr. Cela fait juste 3 mois qu’il a les dimensions exactes et les photos de Turbo et qu’il nous dit qu’il n’y a pas de problème. Sans se fâcher on lui explique qu’on ne comprend pas bien. Il s’éclipse 2 minutes et revient et nous dit que finalement c’est bon ça va rentrer. Fracture ouverte de la confiance. On a juste à revenir le lendemain, le temps pour lui de faire venir le bon container et on charge. Nous repartons presque rassurés et croisons nos Parigourdins, encore eux, et rions ensemble de nos péripéties respectives.

Ce qui devait arriver arriva, le lendemain, évidemment, Turbo ne rentre pas dans le container. Lim avait beau le mesurer et le re-mesurer encore, on est trop haut de 30 centimètres. Bon, pas grave qui nous dit, il peut avoir un container où qu’on rentre dedans mais dans 1 mois et c’est beaucoup plus cher. ‘Euh, non mais t’es bien sympa Jo-le-rigolo mais on va essayer autre chose’. Je ne saurais dire pourquoi, mais sur le moment, on a plutôt bien pris la chose; peut-être qu’on s’y attendait finalement.

Bref, le plan B, c’est de shipper depuis la Malaisie. Aller en Malaisie ça veut dire rouler 2500km, sortir du Cambodge par une autre frontière que celle mentionnée sur notre permis, puis de traverser la Thaïlande, pays dans lequel on ne peut théoriquement pas rentrer avec un véhicule aménagé. Oui, oui, parfait, ça se présente plutôt bien tout ça. Nous retrouvons le soir-même Hugo et Emeline qui par chance ont le même programme et nous décidons de faire le trajet ensemble vers la frontière.

De nouveau, ce qui devait arriver arriva, nous nous faisons refouler à la sortie du Cambodge pour cause de permis non valide, et sommes invités à retourner à Phnom Penh pour faire un avenant. Pas moyen de discuter. Les mecs sont carrés avec la procédure. Pour une fois, on aurait préféré s’arranger autrement… Nous repartons aussi sec et passons la nuit dans une pagode pas loin des quais à Phnom Penh. Nous arrivons miraculeusement à obtenir la modification de nos permis vers 17h le lendemain et décidons de repartir sans attendre… pour 8h de route. Quatre petites heures de sommeil plus tard nous partons vers la frontière et sortons du Cambodge facilement. Place à la Thaïlande interdite maintenant. Pour une fois, la chance nous sourit, en moins d’une heure, Turbo et Pépère passent la frontière et nous voilà en train de rouler à gauche, sur les routes de Thaïlande. Il était finalement plus simple de rentrer dans un pays qui nous est théoriquement interdit que de sortir d’un autre avec des papiers en règle…

Nous prévenons d’emblée notre agent maritime en Malaisie, Daryl, que nous sommes en route. Daryl est la rock star du shipping en Malaisie, tous les voyageurs en véhicule qui expédient par bateau le connaissent, et nous sommes vraiment rassurés de passer par lui, qui respire le professionnalisme. Si on met de côté la frontière Cambodgienne, nous auront franchi les pires frontières avec Hugo et Emeline, et c’est quand même plus facile d’affronter tous ces petits tracas à plusieurs.

Nous traversons la Thaïlande au pas de course, repassant par les routes que nous avons emprunté à vélo quelques semaines plus tôt. Les journées sont harassantes et consacrées exclusivement à rouler par des températures bouillantes. Nous franchissons la frontière malaisienne sans souci; enfin sans soucis de papier, parce que nous avons touchotté légèrement en passant la grande porte à la douane et avons ensuite perdu notre lanterneau (une fenêtre de toit). Nous nous en rendrons compte beaucoup plus tard bien évidemment. Mais là encore, nous le prenons avec beaucoup de philosophie et ça nous fait même bien marrer. Tant pis pour le lanterneau, je bricole une réparation à base de couverture de survie et de duct-tape (oui parce que quand il pleut ici, ça plaisante pas) et nous refilons de plus belle en direction de Port Klang, à l’ouest de Kuala Lumpur.

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Nous retrouvons Daryl pour charger Turbo sur son container ouvert. En une heure l’affaire est pliée, ses gars nous sanglent la bête fermement et c’est déjà l’heure de lui dire au revoir. Ça nous fait tout bizarre de le laisser une fois de plus et de se dire qu’on le retrouvera deux semaines plus tard à presque 6000km de là.

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Après une nuit passée à Kuala Lumpur, nous prenons la direction de l’île de Pangkor avec la ferme intention de ne surtout rien faire. Nous avons un peu moins de 10 jours à tuer avant de prendre l’avion pour Téhéran et nous sommes épuisés par ce marathon qui dure depuis 3 semaines déjà. L’île de Pangkor n’a rien de très exceptionnel et c’est bien ce que nous venons chercher: pas trop d’agitation ni de touristes, mais du sable, de l’eau claire, des palmiers et du soleil. Nous passons nos journées à lire, à manger les pieds dans le sable et à régler toutes les petites formalités pour la suite des opérations.

Bien reposés par cette parenthèse insulaire, nous partons vers les Cameron Highlands, une zone montagneuse au centre de la Malaisie connue pour ses plantations de thé et de fruits en tous genres. La température y est bien plus douce que partout ailleurs et nous nous surprenons même à avoir besoin d’une couverture la nuit. Nous faisons une petite rando dans la jungle, tous seuls comme des grands, et dans ce coin là ce n’est pas légion. Enfin tous seuls, pas tout à fait: nous sommes accompagnés par un chien que nous avons appelé Rouky, et qui nous suit depuis la ville; il a dû nous trouver sympas et ne nous a plus lâché de la journée. Un dernier petit détour par la ville de Ipoh, non loin de là pour une dernière soirée avec Hugo et Emeline, qui s’en vont vers d’autres cieux avec l’Indonésie, puis le Japon et le retour en France par la Russie, la Mongolie et encore l’Asie centrale.

Nous sommes finalement retournés à Kuala Lumpur l’avant-veille de notre départ pour récupérer les derniers papiers du shipping auprès de Daryl.

Nous prendrons l’avion demain pour l’Iran après plus de 5 mois en Asie et des souvenirs plein la tête.

Cambodge, enduro en duo !

Nous arrivons à Phnom Penh au Cambodge par le bus, vers 1h du mat’, mi-frais comme on l’imagine. Nous sommes obligés d’enfourcher nos vélos pour traverser la ville et rejoindre l’auberge où nous passerons la nuit; auberge offrant des chambres tenant plus de la cellule de prison que d’une suite royale du Hilton… mais qu’importe, nous trépignons d’impatience à l’idée d’accueillir Fanny, la sœur de Cam, et Philippe, sa moitié (nous les appellerons Fanfan et Pilou, pour plus de commodité), le lendemain soir. Nous passons la soirée du lendemain avec Hugo et Emeline, nos parigourdins pour ceux qui suivent, que l’on est ravis de retrouver, autour d’un verre bien évidemment !

Nous faisons les cents pas sur le trottoir en attendant le tuktuk nous amenant nos loustics. Les retrouvailles sont émotionnées; on aura du mal, Pilou et moi, à décoller Camille et Fanfan.

Nous restons 2 jours à Phnom Penh, pour permettre aux organismes de se remettre du décalage horaire et pour préparer (modérément) notre périple sur deux roues à nouveau, mais cette fois motorisées, pour une quinzaine de jours.

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Le lendemain sera l’occasion, histoire de se mettre dans l’ambiance, de visiter le musée du génocide, prenant place dans la tristement célèbre prison S-21, théâtre d’emprisonnements arbitraires autant que de tortures inouïes; âmes sensibles s’abstenir. Camille profitera ensuite de la soirée pour tester ses nouvelles jambes de néo-cycliste: sur le chemin vers l’auberge, un type en scooter tente de lui arracher son sac à main; c’est peine perdue, la bête est trop solide sur ses appuis et le type est reparti bredouille et allégé d’un pourcentage non négligeable de ses capacités auditives. Pas suffisant pour entamer notre enthousiasme naissant pour ce pays a priori bien sympathique, mais le ton est donné. Elle se fera tout de même volé son morceau d’ananas par un singe dans un temple; sont malins ces singes…

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Nous sélectionnons nos montures, mon Pilou et moi dans une agence de loc non loin de là, avec toute la confiance des filles; par ‘sélection’ il faut comprendre ‘prendre les deux qui restent’. Il s’agit de deux motos enduro (250 XR à la sauce Asie du sud est, pour les connaisseurs), d’époque manifestement pré-angkorienne et ma foi de fort belle facture. Ça ressemble un peu plus à un machin pour labourer les champs qu’autre chose mais qu’importe, ça fera bien l’affaire.

Et nous voilà partis, à 2 sur chaque moto plus un gros sac à dos sanglé à l’arrière, à tenter de sortir de Phnom Penh. C’est magnifique, jamais vu un bordel pareil: scooters, voitures et tuktuks se croisent, se rapprochent, s’évitent, sans jamais se toucher, sans même trop klaxonner, un peu à la manière d’un banc de poissons. Nous nous en sortons avec les honneurs (c’est à dire vivants), et cette épreuve nous enseigne les deux premières règles du code de la route, à savoir: ‘tâche de rester en vie’ et ‘évite de toucher les autres’. C’est assez simple sur le papier et finalement pas si difficile à appliquer.

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La suite se fera sur la route probablement la plus circulante du pays, j’ai nommé la nationale 4. Une route pas très large, à double sens et sillonnée par camions, voitures, bus, tuktuks et scooters, sans oublier les moyens de transport logistiques étant souvent des hybrides de ces dernières catégories. Assez rapidement, l’enfer nous apparaît, en même temps que les troisièmes et quatrième règles du code de la route, à savoir: ‘le plus gros a toujours raison’ et ‘essaye de ne pas mourir’. Alors oui je sais, vous allez me dire que les deuxièmes et quatrièmes règles se ressemblent à s’y méprendre, mais la pédagogie est et sera toujours question de répétition. Dans les faits, les bus, puis les camions, puis les voitures ont le droit de doubler absolument n’importe quand et n’importe où, qu’il y ait quelqu’un en face ou pas, tant que ce quelqu’un est moins gros. Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons dû nous jeter sur le bas côté pour éviter un insupportable choc frontal; le choix des enduros était plutôt bon, ne serait-ce que pour ça.

Si nous prenons cette route, c’est parce qu’elle est le chemin le plus court vers les montagnes des Cardamomes, dans l’ouest du pays. On voulait faire un peu de piste pour s’aventurer loin des sentiers battus, on a été servi. La chouette piste bien large en latérite (comme au Paris-Dakar !!) fait trop rapidement place à un chemin chaotique à souhait, aux montées et descentes à 30%, et aux ornières profondes de 50cm. Là encore, on ne regrette pas le choix des motos. Les paysages sont splendides, même si on le voit pas beaucoup tant la végétation est dense. Les quelques gens du crus que nous croisons sont systématiquement souriants. Nous nous échapperons le lendemain vers une route un peu plus roulante pour laisser reposer les séants de nos moitiés, endoloris par les secousses.

Nous atterrissons à Battambang au nord ouest et faisons une chouette visite de la ville accompagnés par un guide formidable. Nous finissons la journée en observant la sortie de 6 millions de chauve-souris (selon les syndicats) d’une grotte, partant certainement boire des canons dans les troquets environnants, tous les jours à heure fixe: c’est très impressionnant.

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Nous filons ensuite vers la ville de Siem Reap, un peu plus à l’est, connue pour abriter les fameux temples d’Angkor. Le contraste est saisissant. On se retrouve dans l’archétype de l’attrape-touriste. La densité de perches à selfie est à peine supportable. C’est vrai que c’est joli et colossal, mais il y a vraiment trop de gens, nous rendrons les armes en début d’après midi. On se sentait mieux dans les montagnes… C’est triste à dire mais je pense que si c’était à refaire, on n’irait pas.

Ensuite, nous mettons le cap sur la route 6; ça sonne bien comme ça la route 66: on s’imagine des gros barbus chevauchant des Harley, sur une très longue ligne droite, truffes au vent sur un fond de Steppen Wolf. Mais là non. Nonon. Cette fameuse route 66 est encore pire que la route des montagnes. On est toujours 4 sur des motoculteurs à essayer d’oublier qu’on n’est pas des pros du 2 roues en hors piste, mais nous compensons efficacement notre manque de compétence par de la motivation. A de nombreuses reprises, les filles sont obligées de descendre de cheval tant le terrain est technique. Définitivement, l’enduro n’est pas fait pour le duo (et réciproquement). On se perd tous les 500m, que nous parcourons moins vite qu’une tortue anémique (35km en 5h). On est sales comme des peignes, mais on est sortis de là. Bon le souci, c’est que l’endroit où nous dormirons ne propose pas de douche, à proprement parler. Pas grave, ça attendra. En revanche l’endroit propose des cochons qui se battent toute la nuit et des coqs qui pensent voir le soleil se lever toutes les 20 minutes… de quoi se reposer paisiblement en somme (sic !).

Ça fait déjà pas mal de temps qu’on est partis et le moment est venu d’aller se reposer, tranquillement, pas loin de la mer. Kampot, tout au sud du pays s’avère être un très bon choix. L’ambiance de la ville est très agréable, quoi qu’un peu touristique. Nous coulons quelques jours paisibles à jouer à la Mus (prononcez ‘mouche’, un jeu de cartes basque, pays natal du Pilou), à se balader entre plantations de poivre et temples bouddhistes, même à aller se baigner dans une eau à bien 30°C, et bien sûr, à boire des canons.

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Nous repartons enfin vers Phnom Penh, pour récupérer notre autorisation de circuler au Cambodge avec Turbo, et pour dire au revoir au Pilou et Fanfan qui s’envolent pour Baltimore (via Dubaï, Paris et l’Islande, tout un programme) pour retrouver Hordago, leur pick-up, qui les attend pour un périple d’un an sur la trans-américaine (www.hordago.fr). Les au-revoirs sont aussi durs que les retrouvailles étaient chouettes. Z’allez nous manquer bande de ploucs !

De notre côté, nous prenons la route pour aller chercher et réparer notre Turbo, resté dans le nord du Laos, à Luang Prabang, via un trajet en bus de 48h (priez pour nous). Nous quittons un pays formidable peuplé de gens au sourire indéfectible et aux chauffeurs de tuktuks franchement drôles. Nous regrettons juste de ne pas être allé voir ce qui se passe très à l’est, si vous avez l’occasion, on ne nous en a dit que du bien.

Thaïlande, des sourires encore des sourires

Nous voici donc fraîchement arrivés à Bangkok, en Thaïlande. Enfin fraîchement, c’est façon de parler, parce que la température avoisine les 40 degrés et le taux d’humidité les 110%; c’est un peu rude mais on s’y fait vite. Et je réalise en écrivant combien cette phrase doit être pénible à lire pour vous, qui êtes en France, supportant un froid de canard, une météo automnale et des épidémies en veux-tu en voilà. Oui je sais c’est injuste.

Nous passons les deux premiers jours à visiter un peu la ville et à préparer notre itinéraire.

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N’ayant pas spécialement envie de sortir de Bangkok à vélo, et donc probablement mourir dans un terrible accident, nous décidons de prendre un train jusqu’à une ville côtière un peu au sud de Bangkok: Hua Hin. Si vous avez l’occasion de prendre le train un jour en Thaïlande, essayez donc la troisième classe, ça vaut le détour. Soyez flexibles avec les horaires aussi, d’une parce que vous êtes en vacances, et de deux parce que ce n’est pas le principal atout des chemins de fer Thaïlandais.

Nous prenons la route au petit matin pour éviter la chaleur. Nous roulons sur une superbe route, bordée de bougainvilliers jaunes, roses, rouges et mauves et pourpres… et paraboliques…

A notre première pause destinée à essayer de comprendre le dédale que nous devons suivre pour rester le plus proche possible de la mer et le plus loin possible de la nationale, nous faisons la rencontre de Marc, voyageur à vélo suisse, parti depuis 11 mois et affichant un peu moins de 10000km au compteur. Autant vous dire que nos membres inférieurs respectifs diffèrent quelque peu par leurs mensurations. Vaille que vaille nous décidons tout de même de rouler un peu ensemble, c’est toujours plus sympa. Marc est biologiste, et passionné d’oiseaux: un orthonica… un ornithorhyneu… bref un piafiste, doté d’un appareil photo avec un objectif long comme le bras. Il nous fait découvrir tout plein d’espèces d’oiseaux fort jolis, de toutes les couleurs. Nous roulons assez souvent juste au bord de la mer, le long de splendides plages, et c’est bien agréable.

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Le choix de rouler vers le sud présentait bien des avantages sur le papier. On allait rouler au bord de la mer, c’est beaucoup moins vallonné que le nord et beaucoup moins touristique aussi. Le souci avec les coins pas trop touristiques c’est de trouver un endroit où dormir. Nous croisons régulièrement de grands hôtels de luxe destinés à des retraités aisés et les petites auberges ne sont pas légion. Nous parvenons tout de même à trouver à dormir pour pas trop cher, surtout en partageant le chambre avec Marc. Nous nous offrirons même le luxe d’un bungalow avec piscine pour fêter notre 1000ème kilomètre !

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Aux dires de bien des connaisseurs, les deux principaux ennemis du cyclovoyageur sont le vent et les chiens. Ces derniers nous ont laissé relativement tranquilles de jour; de nuit c’est une autre histoire. Et pour ce qui est du vent, on était quand même content de le trouver pour nous rafraîchir; on a bien souffert les quelques fois où on l’avait de face.

On s’arrête régulièrement pour acheter de l’eau et des bananes. On a même acheté un ananas à des paysans qui chargeaient un camion avec la récolte fraîchement coupée, une odeur inoubliable. Et question odeur, c’est pas toujours fameux. Dans ces coins proches de la mer, les pêcheurs ont coutume de faire sécher des millions de poissons de bien 5cm sur des bâches bleues en plein cagnard; la puanteur est à peine croyable, à vous faire passer le goût des fruits de mer. La route est encore une fois bien souvent peuplée de bestioles: les habituels buffles, mais aussi des vaches aux longues oreilles et grosses comme des chevaux, et quelques petits singes sur le bord de la route, et même un serpent mort d’un bon mètre cinquante.

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En arrivant à Chumphon, nous comprenons que la suite va devenir compliquée question hébergement. Il ne nous reste que quelques jours alors nous décidons de faire demi-tour et de remonter un peu vers le nord et recroiser ces paysages splendides. Nous laissons filer Marc qui traversera vers l’ouest pour rejoindre sa famille venue lui rendre visite. La plage de Ban Krut nous offrira un formidable observatoire pour la fameuse Lune de sang.

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Nous reprendrons le train depuis Prachuap pour Bangkok, sonnant le glas de notre petit périple sur deux roues, après 1250km sur les routes du Laos et de la Thaïlande.

Nous restons finalement deux jours à Bangkok à préparer la suite des opérations, et en particulier l’expédition de Turbo par bateau, du Cambodge en Iran (tout un programme). Nous passerons une dernière chouette soirée chez Soma et Fabien, un vieux copain d’école d’ingénieur venu s’installer à Bangkok il y a 2 ans.

Nous partons maintenant pour le Cambodge où Fanny, la sœur de Cam, et Philippe sa moitié nous rejoindront pour un périple à moto de 15 jours.

A bicycletteeuuhhh…

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Nous voilà donc repartis le 27 décembre en bus de nuit de Hanoï direction Luang Prabang au Laos, sereinement. Enfin on aurait été sereins si on ne s’était pas rendu compte 10 minutes avant de monter dans le bus qu’on allait dépassé notre visa d’un jour… Je ne sais pas comment c’est possible mais on s’est tous trompés. Plus de peur que de mal. A défaut de finir dans les geôles de la douane (on ne risquait qu’une amende), le gars nous a laissé passer après s’être gratté la tête 2 minutes et avoir demandé à son chef.

Nous sympathisons avec Stéphane et Clara, galériens du bus comme nous, qui envisagent de partir dans le nord après une escale de quelques jours à Luang Prabang. De notre côté, nous prévoyons de partir le 1er janvier direction le sud… à vélo. Les jours suivants seront donc consacrés à une révision des vélos (après 30000 bornes sagement assis à l’arrière de Turbo, quelques tours de vis se sont perdus), préparation des sacs, repos et nouvel an.

Le nouvel an Lao aura lieu entre le 13 et le 16 avril. D’ailleurs ils célèbreront ici l’an 2562… c’est dire si notre 1er janvier 2018 est important pour eux. Malgré tout, la ville étant pas mal touristique, la sauce monte gentiemment.

Nous passons le réveillon avec nos deux compères à l’Utopia, bar mythique de Luang Prabang, très sympa, avec un mauvais DJ français venu du Japon (?!?) et un barbecue fabriqué avec un demi-obus non explosé datant de l’Indochine.

Notre départ déjà reporté au 2 pour cause de flemme aigüe sera avorté après seulement 30km: des craquements suspects venant de mon boîtier de pédalier nous feront faire demi-tour (évidemment le seul organe que je n’ai pas vérifié et pour lequel je n’ai pas emporté l’outil…). Nous serons rapatriés dans la benne d’un petit camion roulant à tombeau ouvert sur les routes vallonnées autant que sinueuses et accidentées de la région. On est à la limite de la descente d’organes mais néanmoins fort reconnaissants.

Le plus rageant est que seulement 5 minutes après avoir ouvert la porte de Turbo, le problème est reglé… Je lis le desespoir sur le visage de Camille. C’est qu’on n’a pas roulé chargés comme ça depuis plus d’un an lors de notre galop d’essai cyclopédique, et que 30km aujourd’hui, ça vaut cher (ne riez pas !).

Cette fois ça y est, nous abandonnons Turbo pour 2 mois de plus. Nous avons choisi l’itinéraire le plus court et le moins vallonné menant à Vang Vieng, mais malgré tout, pas mal de cyclo-voyageurs décrivent la portion comme les jours les plus difficiles de leur périple, même en partant d’Europe et pour un an. C’en est trop pour nos mollets de mantes religieuses, nous craquons au pied d’une pente de 6km à 12% et nous faisons déposés par un pick-up à 10km de notre escale pour la nuit, après 57 épuisants kilomètres en selle.

L’ennui c’est que cette première journée était de loin la plus simple du parcours. Le lendemain par exemple, c’était plutôt 20km à 12%. Nous décidons d’un commun accord de monter dans le premier bus partant loin de ce maudit endroit aussi vite que possible. Il s’agit là de se faire plaisir au milieu de superbes paysages, pas de s’arrêter toutes les demie-heures pour pleurer un bon coup. On est un peu tristounes de passer aussi vite dans ces superbes paysages karstiques mais comme le disait Poulidor, ‘qui veut voyager loin ne roule pas 20 bornes à 12%’. Et on s’est juré de prendre notre temps en repassant par là avec Turbo quand on l’emmènera faire un tour de bateau.

Deux jours après être repartis de Vang Vieng, on avait prévu une journée tranquille de 42km sans trop de dénivelé, en partant à la fraîche. Le choix de la raison en somme. Le soucis c’est qu’il n’y a pas eu moyen de trouver une auberge pour nous accueillir. C’est pas faute d’en avoir tenté 4 en 10 minutes. On arrive là dedans, personne ne parle anglais, pas un touriste, les mecs nous regardent avec des yeux écarquillés quand on demande si on peut passer la nuit et évidemment personne ne connait le tarif de la nuitée. Bon, ça ressemble beaucoup plus à une jolie plateforme de blanchiement d’argent qu’à toutes les autres auberges que nous avons pu croiser. Ni une ni deux (j’éxagère un peu), nous décidons de pousser de 68km et de dormir à Vientiane. Si je résume, c’est notre troisième jour de vélo, il est 13h, il fait 36° et nous allons rouler 110km dans la journée. Le choix de la raison qu’y disait. C’était pas une soirée crèpes mais on s’en sort tout de même avec les honneurs, arrivant à la nuit tombante dans la capitale, accompagnés de toutes les douleurs possibles aux jambes, aux épaules et aux fesses, et fiers comme des Zlatan.

Après 2 jours de repos à se goinfrer de pâtisseries en tous genres nous repartons par le bus vers le sud pour éviter une route sans intérêt et attaquer la fameuse boucle de Thakhek dont on nous a vanté les beautés (merci Clara). C’est ben vrai ! C’est splendide.

Quasi 350km avec un peu de dénivelé au milieu des villages et des montagnes karstiques en une petite semaine avec en bouquet final la grotte de Konglor parcourue en pirogue sur la rivière souterraine qui y serpente, dans un noir à peine troublé par nos frontales. Un bien agréable petit air d’aventure. Nous croulons sous les ‘Sabaidee’ (bonjour en Lao) lancés par les centaines d’enfants que nous avons croisé, riant systématiquement à la vue de nos vélos de clown. Je ne sais pas comment ils font pour avoir autant de gamins (enfin si, j’ai quand même une vague idée). Nous évitons souvent de justesse (pas parce nous sommes rapides, mais parce qu’ils sont nombreux et imprévisibles) les poules, chèvres, canards, buffles, veaux, vaches, cochons, couvée… Chaque soir, après avoir ri aux éclats en regardant nos bronzages tour de France s’aggraver, nous découvrons plein de nouveaux petits muscles. Les journées sont de moins en moins éprouvantes.

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Sur les conseils d’un cyclo-voyageur français croisé sur la boucle, nous roulons vers Savannakhet, la deuxième ville du pays par une route censée longer le Mékong, être lisse comme un billard et plate comme une limande. Les conseilleurs n’étant jamais les payeurs, nous éructons tous les jurons du capitaine Haddock pendant les 120km en plein cagnard (40° quasi toute la journée) sur une route qui ne méritait franchement pas le détour. Vallonée à souhait, bitume rugueux à vous faire regretter de ne pas être fakir et auberge à mi-chemin aussi artificielle que celles d’avant Vientiane (compliqué de dormir, pas possible de manger…). Maudit bl’héro (Ju, elle est pour toi celle-là) !

Après bien des tergiversations (mot compte triple) nous décidons de ne pas terminer dans le sud et ses 4000 îles ou le plateau des Bolovens, ni de retourner au Vietnam par le sud mais de prendre un bus pour Bangkok, d’où nous roulerons vers le sud de la Thaïlande et ses plages paradisiaques, pour une petite quinzaine de jours.

Vietnam, un petit morceau de France

Nous venons d’abandonner lâchement notre cher Turbo à Luang Prabang pour plusieurs mois, contraints et forcés par les nouvelles réglementations en vigueur dans les pays alentours. Cela doit vous paraître étrange, mais le laisser là nous laisse vraiment un sentiment désagréable; il fait vraiment partie intégrante de notre voyage et on a été bien tristounets en fermant la porte et en partant avec nos sacs sur le dos pour aller chercher notre bus.

Un chouette trajet en bus ‘couchette’ de 26h pour seulement 700km. Par couchette il faut comprendre des sièges de bus assez classiques mais sur deux étages dans un bus à taille normale, dont les dossiers s’inclinent jusqu’à vous permettre de vous allonger presque entièrement; enfin quand vous mesurez moins d’un mètre soixante dix… autant vous dire que je n’ai pas passé la meilleure nuit de ma vie.

Mais le jeu en vaut bien la chandelle, nous partons en direction du Vietnam et plus précisément d’Hanoï où nous allons retrouver Sylvie et Michel, les parents de Camille, venus en terre asiatique pour fêter Noël avec nous entre autres (et dans ‘entre autres’, il y a aussi ‘nous rapporter de la coppa, du vin, du fromage et un calendrier de l’avent’ !)

Les retrouvailles sont aussi émouvantes que lacrimales; voilà presque 6 mois que l’on ne s’est pas vus et c’est vraiment chouette de se retrouver en chemin.

Nous commençons notre périple par des déambulations dans Hanoï pour aller voir quelques unes des nombreuses curiosités que renferme la capitale. Hanoï est une très grande ville, peuplée de quelques 8 millions d’habitants, fourmillant de voitures, mobylettes et autres tuktuks. Après les quelques trois semaines de relative quiétude passées à Luang Namtha, le contraste est saisissant. Nous marchons beaucoup dans la ville et faisons escale régulièrement dans les cafés qui regorgent dans le centre historique de la ville pour y déguster la bière locale (la Hanoï beer). Et pour être vraiment sûrs, nous testons plusieurs troquets dans les alentours: aucun doute, la qualité est constante, nous voilà rassurés ! Nous sommes surpris de voir quelques églises et des décorations de Noël à tous les coins de rue, finalement pas si dépaysant que ça !

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Une fois les organismes remis des trajets de bus et d’avion, nous prenons un train de jour pour le centre du pays, en direction de Hué pour y découvrir la cité impériale et la rivière des parfums, qui n’a plus de parfumée que le nom. Nous profiterons de l’occasion et de ce trajet sans fin pour observer les paysages changer et aussi pour faire une pique-nique à la française au beau milieu du train: on a fait sensation auprès de nos voisins.

Après un retour éclair à Hanoï nous nous mettons en chemin pour la baie d’Ha Long dite terrestre se trouvant légèrement au sud d’Hanoï. Curieuse appellation que celle-ci. Il s’agit en fait d’immenses monolithes dressés au milieu d’un lac ou le long d’une rivière qui se découvre en barque. Cet endroit est un peu moins couru que la fameuse baie d’Ha Long maritime et à l’heure à laquelle nous sommes venus, nous étions même tous seuls, à ramer en cœur pour donner un coup de main à notre rameuse de guide, serpentant entre les géants rocheux et dans les nombreuses grottes qu’abritent ces blocs. C’est magnifique mais faut reconnaître que quand on est un peu grand ça passe limite. On avait vu des photos de l’endroit montrant une colonne ininterrompue de barques traçant désagréablement l’itinéraire classique; nous avons été veinards de faire ça quasiment tous seuls et par un temps splendide.

Le rythme est assez soutenu et nous filons maintenant vers Sapa à l’extrême nord du pays où se trouvent de nombreux petits villages peuplés d’ethnies venant majoritairement de la Chine voisine. Nous ferons la connaissance du patron de l’auberge où nous dormons, qui parle un français impeccable avec un accent irrésistiblement drôle, le même que nous prenons pour imiter un chinois parlant français; très sympathique, il nous expliquera plein de choses sur la culture locale et nous trouvera une guide Hmong pour nous faire visiter quelques villages alentours. Il trouvera en outre une ressemblance troublante entre Michel et rien moins que Bouddha et lui caressera même le ventre pour se porter chance; il faut reconnaître que mis à part la couleur de peau, la moustache et quelques kilos d’écart (c’est qu’il mangeait bien à la cantine Bouddha, sauf son respect), il y a quelque chose, nier l’évidence serait malhonnête !

Nous arrivons ensuite à baie d’Ha Long maritime, la fameuse, où nous comptons bien passer Noël autour de fruits de mer locaux. Bien des gens nous ont déconseillé l’endroit (tu avais raison Emeline !), parce que trop touristique et parce que finalement pas forcément plus beau que sa petite sœur terrestre. Il n’empêche que venir au Vietnam sans voir la baie d’Ha Long serait comme aller au Cambodge sans voir les temples d’Angkor, aller à Paris sans voir la tour Eiffel ou aller à New York sans voir le Naked Cowboy: une faute de goût ou quelque autre impression d’inachevé. Cette escapade a été de loin la plus mauvaise expérience de la quinzaine. Mais pour bien comprendre l’histoire qui suit, il me faut insister sur un point que nous avons déjà évoqué, à savoir la nécessité de ne jamais faire ‘perdre la face’ à un asiatique, qui est un dénominateur commun aux peuples d’Asie. Cela veut dire, pour faire vite, ne jamais mettre quelqu’un devant ses erreurs, ses responsabilités, de manière franche et directe; il vaut toujours mieux, si on souhaite conserver de bonnes relations avec son interlocuteur, user de diplomatie et de finesse, quand d’aventure celui-ci vous couperait le route ou se comporterait d’une manière contraire à nos valeurs. C’est un point très important si on veut comprendre les réactions parfois étranges des autochtones, pour nous autres occidentaux, pour qui la diplomatie n’est pas souvent le fort, et dont la passion pour confronter quelqu’un qui vous a déçu est prégnante. Je reviens à mon histoire. Nous arrivons au port pour trouver un bateau qui daignera nous faire voguer jusqu’au célèbre site et commençons à discuter difficilement avec un gars qui semble pouvoir nous dégoter ça. A l’annonce du tarif qui nous semble un peu excessif nous tentons de négocier. Cinq minutes après le gars se dirige vers le port en me faisant un signe de tête comme pour dire ‘ok pour votre prix, je vais vous chercher ça’. Bien 20 minutes plus tard, nous demandons à sa collègue ce qui se passe et pourquoi le gars ne revient pas. Elle nous répond qu’elle ne le connait pas (mes fesses) et que de toutes façons il est déjà parti loin sur un bateau. Stupeur dans l’assemblée. Le gars, n’assumant pas du tout devoir nous dire que ce n’est pas possible, a pris la poudre d’escampette pour éviter d’avoir à affronter nos regards. Incroyable mais vrai. Dura lex sed lex. Nous trouverons un autre bateau via le comptoir officiel et ne manquerons pas de nous faire escroquer par la propriétaire du bateau, qui a cru bon d’écourter la balade, d’un bon tiers ! Définitivement, la baie d’Ha Long, plus jamais. Beaucoup trop touristique en effet, et pas que. C’est vrai que c’est joli, mais faut pas déconner.

Nous passerons le réveillon dans un resto que nous a vendu Camille comme la perle du coin, sur le papier. Les gars étaient déconcertés à l’idée qu’on veuille réserver; bon admettons, ce n’est pas dans les us et coutumes. Au final, ce resto n’avait strictement rien de révolutionnaire, on n’a pas mangé exactement ce qu’on avait commandé et le chef a passé tout le repas à nous regarder, assis à la table à côté. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais faites l’expérience, c’est particulier.

Nous achèverons notre séjour à Hanoï, en prenant le temps. Sylvie en a profiter pour acheter la totalité des pochettes tissées et une proportion non négligeable du thé Vietnamien après d’âpres négociations; n’en cherchez plus, tout est rentré à Valence. La séparation est aussi dure que les retrouvailles furent douces. C’était quand même plutôt très sympa même si on a retrouvé chez certains Vietnamiens un côté brusque et même parfois agressif qui nous a douloureusement rappelé la Chine, on se dit qu’un pays qui a une photo de Florent Pagny sur ses billets de banque ne peut pas être complètement mauvais !

Laos, le sourire retrouvé

Trois semaines au Laos. Enfin trois semaines à Luang Namtha pour être exact. C’est long, c’est très long, trop long. Je ne sais pas si certains d’entre vous sont déjà allés à Luang Namtha – vous ne devez pas être bien nombreux – mais pour les quelques heureux élus, je serais vraiment surpris si vous me disiez que vous y êtes restés plus de trois jours. Non parce que, faut se le dire, y’a quand même pas grand chose à y faire. On a exploité le potentiel au maximum mais au bout d’un moment, on est presque content d’être bloqué au bistrot à cause de la pluie.

Mais c’était très bien, parce qu’on a découvert dès le poste frontière des gens souriants, accueillants et toujours prêts à rendre service, et on avait bien besoin de ça.

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Notre mission en arrivant sur place était de réparer les voitures qui nous ont lâchement abandonnées en Chine. Il nous fallait juste trouver un embrayage de rechange et un garage. Facile en théorie, pas si simple en pratique. On est quand même à Luang Namtha. C’est qu’il y a une poignée d’années de ça, il n’y avait quasi pas de voiture ni de moto ici; maintenant ils sont farcis de Toyota HiLux flambant neuf et de leur mob par centaines. Les garages sont donc plutôt récents et les compétences mécaniques et autres pièces de rechange concentrées sur ces deux véhicules. Du coup, quand les types nous voyaient arriver avec des photos de nos voitures et une vague explication de ce qu’on voulait, ils avaient surtout peur et répondaient non d’office. On a fini par trouver un garage qui nous voulait bien, largement aidés par des Laotiens dont nous avons fait la connaissance, et c’est à ce moment que nous avons décidé de réparer nos voitures nous-mêmes. C’était plutôt une bonne décision si on se souvient que les mécanos du garage que nous avons squatté étaient impatients de pouvoir apprendre de nous – de quoi vous glacer le sang. Tout ça nous a pris une bonne semaine.

La grosse semaine d’attente avant réception des pièces nous a permis de profiter des environs.

Nous sommes partis en bon touristes faire du canoë sur la Nam Ha sur une journée puis deux jours canoë/trek avec nuit dans la jungle, en compagnie de Maud, une autre française. C’est très sympa la jungle, c’est vrai, mais faut reconnaître qu’on change de dimension question arachnophobie. Les environs de la cabane où nous passons la nuit sont farcis d’araignées ‘à tête de mort’ grosses comme une main – charmantes.

 

Notre Indiana Jones de guide nous a fait à manger avec ce qu’il a trouvé autour de la cabane et a couru 2 bonnes heures derrière des grenouilles pour nous les faire manger bouillies et entières au petit déjeuner. On a même fait une pétanque avec les gamins d’une école pendant la récré !

 

Nous sommes aussi allés visiter une grotte à 40 bornes de là. Le concept est assez sympa, c’est de la visite ‘faites la vous-même’ ou ‘démerdez-vous’ si vous préférez. Le gars nous fait payer 1 euro l’entrée, nous ouvre la porte et nous demande de lui rapporter la clé une fois sortis. C’est rigolo finalement, quoi qu’un peu casse-gueule dans la mesure où ce n’est pas éclairé.

Nous sommes finalement allés au village de Muang Sing à 60km au nord, en mob. A notre arrivée, mamie Yvonne a absolument tenu à faire une figure de cheval d’arçon sur la selle de la mob (enfin elle a essayé de grimper dessus mais ça a foiré); parfaitement exécutée, tant techniquement qu’artistiquement, avec une remarquable réception tête la première sur le bitume – quoiqu’un peu brutale. Cela lui vaudra deux points de suture réalisés avec un morceau de filet de pêche et un vieux clou.

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Non je déconne. Le bled ne comptant que quelques centaines d’habitants dispose d’un chouette hôpital bien équipé en trucs stériles et tout ça. Notre Yvonne a l’air d’être passée sous un bus mais ça va plutôt pas mal.

Nous avons occupé le reste de notre temps à flaner dans le village et à tester tous les restos, tous les plats locaux jusqu’aux larves, en passant par les termites, les grenouilles et les sauterelles.

 

On a même testé le ‘night club’, avec une musique à un niveau de puissance à peine croyable, tant et si qu’il nous a fallu plus de 24h pour retrouver une ouïe correcte. Nous sommes devenus de vrais spécialistes du bled, on a rencontré plein de voyageurs sac-à-dos qui nous ont demandé conseil et les serveurs dans les resto nous apportent nos plats sans qu’on n’ait même à les demander…: il est vraiment temps qu’on parte.

Et puis les pièces sont arrivées et 6 jours plus tard les deux bagnoles sont sur pied. Voilà qui fait une jolie nouvelle ligne sur nos CV !

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Nous déposons Turbo à Luang Prabang et prenons le bus pour Hanoï (26h de bonheur) où nous allons retrouver Sylvie et Michel, les parents de Camille.

La suite de notre périple est quant à elle plus qu’incertaine, dans la mesure où les pays alentours ont durci leur politique en matière de passage de frontière avec des véhicules aménagés ces derniers mois. On verra bien !

Chine, accusée de déception ?

Traverser la Chine par ses propres moyens n’est ni simple ni bon marché. Si vous voulez le faire tout seul avec votre voiture (façon de parler, vous aurez de toutes façons besoin d’un guide), il vous en coûtera environ 6000 euros; l’option de se joindre à un groupe s’impose d’elle-même. Notre groupe se compose de 7 voitures et 3 motos soit 17 personnes sans compter les 2 guides, pour environ 2000 euros par véhicule (j’ai toujours été nul en maths, mais là quand même…).

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Si on choisit ses amis mais pas sa famille, on ne choisit pas non plus son groupe de traversée de la Chine; par chance, le nôtre est composé de gens formidables. Voici pour de brèves présentations :

Tamer, Anglais d’adoption au guidon d’une grosse moto allemande, expert en barbecue et en marchandage (2 compétences fort utiles pour un tel périple), un gentleman dans toute sa splendeur

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Hartmut, venu d’Allemagne au guidon d’une autre moto allemande, qui du haut de ses 52 ans a essoufflé tous les petits jeunes que nous sommes (oui, même moi je suis jeune…) pendant un fameux match de foot sur le toit d’un immeuble à Chengdu, un athlète doté d’un stoïcisme presque britannique

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Benjamin, Suisse et néanmoins motard lui aussi, plutôt taiseux et discret, toujours le mot juste et assoiffé de bière (compétence tout aussi utile)

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Brigitte et Yvonne, nos deux mamies zinzins venues de Suisse et d’Angleterre au volant de Charlie, très rigolotes, qui nous donnent en permanence une belle leçon de jeunesse, la caution sagesse du groupe

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Deveena et Simon, les deux jeunes rosbeefs venus de Londres au volant de Walt, un van anglais (sisi ça existe), tout de flegme et d’humour anglais, avec une faculté à faire disparaître des bières à peine on a le dos tourné (pour Simon en tout cas) et quelques bonnes aptitudes pour la langue française qui nous feront systématiquement mourir de rire

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Katja et Bernhard de la délégation autrichienne, venus avec Rosemary, un van allemand, emportant dans leur valise une compétence de soudeur et de boulanger, souvent mise contribution, et jamais les derniers à rigoler

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Thomas et Christian, du Lichtenstein. C’est quand même dingue, ce pays recensait l’an dernier 47 ressortissants (à une vache près), on en a 2 dans le groupe ! Voyageur depuis des décennies et trader amateur

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Et enfin les 6 français que nous sommes (et qu’on ne présente plus), au volant de Pépère (Allez faire un tour sur la page FB d’Hugo et Emeline – L’asie en soi-e – un joli périple sur la route de la Soie), Matt’roll et Turbo.

Tout ce petit monde était censé se séparer en 2 groupes, ceux qui peuvent et veulent sortir des sentiers battus et dormir dehors, et ceux qui préfèrent la route et les hôtels; très rapidement et à la faveur de quelques bivouacs très bon enfant, cette séparation perdra de sa clarté et même dans les frimas tibétains nous aurons quelques beaux bivouacs tous ensemble.

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L’entrée dans le pays, qui est toujours un grand moment, est et de très loin, sur la première marche du podium des passages de douanes les plus pourris. Peut-être parce qu’un haut fonctionnaire a décidé, pour faciliter l’entrée, que les trois bureaux par lesquels nous devons passer seront espacés de 100 km environ, ou alors parce que nos amis motards ont dû passer 4 fois aux rayons X (leur minitel avait bugué je crois), ou alors parce que les douaniers s’amusent à prendre leur pause déjeuner quand c’est notre tour de passer, ou encore parce que nous avons mis trois jours à franchir tous ces bureaux; on ne sait pas. Ça ne nous a pas empêché de sortir les tables et les chaises au beau milieu du poste de douane et de jouer au rugby en guise de pied de nez…

Nous sommes entrés par la zone où vivent les Ouïghours, une minorité musulmane du nord ouest du pays, dans la province du Xinjiang, qui subit une répression semblable à celle plus connue au Tibet. La répression, quand on vit en France, c’est juste un mot, on ne voit pas bien à quoi cela peut ressembler. Je ne sais pas si on peut dire maintenant qu’on sait ce que c’est mais une chose est sûre, ces quelques jours dans la zone ont été absolument invivables. Le harcèlement policier est à peine croyable. Contrôles de flics tous les 10/15 km, avec prise des empreintes, photo, rayons X. Omniprésence de flics armés jusqu’aux dents; même dans les hôtels, les hôtes vous accueillent avec un casque militaire, un gilet pare-balle et un flic en armes, parfois moyen-âgeuses (genre un grand bâton avec des clous) le tout derrière un portique de sécurité. Dans les rues de la ville de Kashgar, la préfecture du Xinjiang, les voitures et fourgons de flics se suivent au ralenti, à 100m d’intervalle, gyrophares allumés et sirènes hurlantes en permanence, comme pour rappeler à la population que si elle bouge une oreille, un flic le verra… Les stations services sont autant de forts Alamo dans lesquelles il est très difficile d’entrer: trois flics habillés en Robocop derrière des barrières mobiles avec des grands pics, des fois qu’on voudrait forcer l’entrée pour acheter un Snickers, pareil à la sortie; contrôle de passeport, passager forcé de faire le tour de la station, une seule voiture à la fois et motos quasi interdites. Nous sommes quelques uns de la génération Y dans le groupe et tout ceci met notre rejet de l’autorité en ébullition et notre patience à rude épreuve. L’ambiance générale de cette zone est suffocante et anxiogène, pour le moins.

Pour une première semaine, le ton est donné.

Au début de la traversée, nous nous sommes vus remettre un chouette programme, jour par jour, avec les villes étapes, les distances à parcourir et les points d’intérêt sur notre route. Bon évidemment, dans la mesure où nous avons enchaîné les avaries mécaniques avec une régularité horlogère, ce programme a volé en éclats assez rapidement; dès le premier jour en fait, quand une voiture a percuté la moto d’Hartmut, sans dommage physique heureusement. Nous avons dès lors alterné des visites trop souvent décevantes et des missions réparation de bagnoles et motos plutôt rigolotes. Tous les véhicules mis à part la voiture des mamies ont connu des pépins, plus ou moins graves et lourds de conséquences. Pour la faire courte, on a dû re-souder les supports de valises d’Hartmut, changer le pneu avant de la moto de Tamer (quoi ? ma mère a une moto ?) sur l’autoroute en 15 minutes, envoyer Benjamin et sa moto jusque Pékin par train pour finalement changer une bougie (merci BMW…), re-souder une pièce de structure du Def d’Emeline et Hugo qui parkinsonnait lourdement, désosser Turbo qui nous a fait des misères de carburation au Tibet, faire parcourir 1500 km sur un camion à Rosemary qui ne démarrait plus et que des garagistes locaux se sont ingéniés à saboter un peu plus, et moult autres petits pépins qui nous ont beaucoup occupé et ralenti. Toutes ces plus ou moins grosses galères ont mis en évidence une grande solidarité dans le groupe et très vite, la mayonnaise a pris.

On a quand même vu des trucs supers sur le chemin, mais pas que.

Le désert du Taklamakan, pour commencer, avec ses dunes de sables jonchées d’arbres jaunis par l’automne, théâtre d’un chouette bivouac riche en barbecue

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Le début de la grande muraille à Jiayugan, la fameuse, dont on s’est demandé si elle n’avait pas été construite la semaine d’avant tant elle reluisait; manifestement trop de restauration tue la restauration. Et de la muraille, une très belle vue sur la centrale nucléaire située à quelques encablures…

L’armée de soldats de terre cuite de Xi’an, enfin une poignée de soldats sur les 8000 que compte le site originel, dont la mission était de protéger l’empereur Qin défunt.

Le plateau tibétain qui nous a offert des paysages magnifiques, autant que de monastères rutilant, et de cols à 4600m. Nous avons même assisté à des funérailles célestes à Litang; c’est un rite bouddhiste tibétain: un homme appelé le rogyapa découpe les corps des défunts et les donne à manger à des centaines de vautours, c’est très impressionnant.

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Les gorges du Tigre, très jolies également, avec une rivière bouillonnante très impressionnante.

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Le Yunan enfin nous a régalé les yeux de ses paysages de montagnes et de forêt tropicale, contrastant radicalement avec le Tibet.

Bon, mais nous conservons tous un goût un peu amer dans la bouche. Tous ces sites sont horriblement chers d’accès, ne valent pas toujours le déplacement, sentent parfois le décor de cinéma et ont été disneylandisés à outrance. Les paysages quant à eux devaient être incroyables il y a trente ans, avant l’arrivée des centrales nucléaires et autres lignes à haute tension qui tapissent les montagnes, les déserts, les villes et les campagnes.

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Pour ce qui est des contacts avec les locaux, c’est presque pire, il ne s’agit que de notre expérience et ce n’est en rien représentatif mais nous n’avons rencontré que très très peu de gens vaguement sympas. Je ne sais pas si c’est l’effet groupe, l’effet véhicule ou autre chose mais la comparaison avec les pays précédents est sans appel. La sensation de n’être vus que comme des porte-feuilles ambulants est aussi prégnante que désagréable. Nous comptons beaucoup plus d’altercations plus ou moins musclées avec des habitants ou avec les flics que de jolis moments avec la population, pas accueillante pour deux sous.

La plus belle d’entre elles est sans doute celle du bivouac des gorges du Tigre, entre français.

Nous nous posons sur ce qui ressemblait à un des nombreux parkings pour touristes sur le bord des gorges, avec une jolie vue. Les villageois nous voient et ne pipent pas mot. Au petit matin, l’un d’eux vient nous réveiller pour nous expliquer qu’on est garés chez lui et qu’il veut 60 yuans (pas bonjour, pas s’il te plaît). Le temps que tout le monde se lève, nous convenons que c’est hors de question; il aurait pu venir nous le dire la veille quand il nous regardait nous installer, on serait partis. Il insiste, insiste encore et nous ramons pour lui expliquer que nous n’aimons pas sa façon de faire; pour 9 euros, c’est beaucoup plus une question de principe que d’argent. Il finit par comprendre que nous n’allons pas nous laisser racketter si facilement et décide de venir bloquer notre passage de sortie avec son minibus, entre deux tas de pierres. L’ami est joueur. Nous tentons de lui faire entendre raison pendant une bonne heure, en vain. En signe de protestation, nous urinons à tour de rôle sur ses roues (je vous concède que ce n’est pas très élégant, mais c’était rigolo) ce qui a le mérite de mettre sa compagne en rogne, mais ne mène pas à sa capitulation. Nous commençons ensuite à déplacer un tas de pierre de manière à pouvoir passer et à bloquer son minubus par la même occasion, ce qu’il remarque, et se propose d’ajouter une voiture pour nous bloquer doublement. Ca commence à bien faire, on le menace de tracter sa bagnole et de passer sans autre forme de procès. Dix minutes plus tard, sa voiture a parcouru 5m en crabe, accrochée au Matt’roll. Il nous menace d’appeler les flics et n’apprécie pas du tout que cela nous fasse rire. Des amis à lui débarquent sur ces entre faits et nous menacent avec des pierres, et en jettent même une dans notre direction. De mieux en mieux. Il a fallu beaucoup de sang froid et d’intelligence pour que la situation ne vire pas à la salade de phalanges. Il fera ensuite semblant d’avoir été percuté par Pépère qui tentait de passer à moins d’un km/h, se roulant par terre en pleurant pendant que sa femme filmait la scène; très courageux tout ça. Nous appelons les autorités de concert pour mettre fin à ce cinéma.

Les mecs se feront doucement engueulés par les flics pendant que nous partons sans payer – on y a quand même passé trois heures, le Don Quichottisme a un prix.

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Nous ne sommes plus qu’à trois cent kilomètres de la frontière quand l’embrayage de Turbo rend l’âme, en quelques dizaines de kilomètres nous n’avançons presque plus et arrivons au dernier bivouac aux forceps. Nous mettrons 12h, tractés par nos 2 kinés au volant de Matt’roll, pour parcourir les trois cent kilomètres restants; un grand moment, merci encore les boys ! On vous conseille vivement d’aller jeter un œil sur leur page Facebook – Avec Matt’roll – Ils sont bien givrés ça vaut le détour !

Il a fière allure le convoi au moment le passer la frontière avec Rosemary tractée par Pépère et Turbo par Matt’roll. Le Laos me verra arriver à pied par la Chine (un rêve de gosse), marchant à côté de Turbo pendant que Camille immortalise l’instant sous les protestations des douaniers.

C’en est presque triste de voir à quel point tout le monde est heureux de sortir de Chine, ça danse, ça chante et ça crie de joie à tout va.

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Le bilan de cette traversée est plus que mitigé mais nous sommes tous en bonne santé, et assez miraculeusement, nous n’avons renversé personne sur la route, et quand on voit la façon de conduire des chinois, croyez-moi, c’est une performance. On pensait avoir atteint l’apogée de la conduite dangereuse en Iran, mais en Chine, on regarde la folie droit dans les yeux quand on conduit. Les scooters, tuk-tuks et autres voitures s’engagent sur les nationales sans même regarder si la voie est libre; on a dû éviter une bonne quinzaine de scooters de très très peu. Après trente six jours de route, on n’a toujours pas trouvé d’explication à ces comportements réellement suicidaires.

Le groupe se sépare et ce n’est pas sans un pincement au cœur que nous voyons nos compères de traversée s’éloigner. Merci à Deveena, Katja, master chef Emeline, Brigitte, Yvonne, Thomas, Berni, Beni, Harty, Tamer, Christian, Simon, Hugo l’Afghan, Jo les raisos et Caliente Simon pour tous ces bons et parfois durs moments, vous nous manquez déjà.

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Il va maintenant nous falloir réparer Rosemary et Turbo dans la première ville que nous croisons au Laos, Luang Namtha, 20ième plus grosse du pays avec un peu moins de 4000 âmes.

Kirghizstan ou quand le planning glisse…

A l’origine du projet, le Kirghizstan était un passage majeur du voyage. Nous étions censés le traverser à cheval, sur trois semaines. J’avais même pris des leçons pour ne pas arriver les mains dans les poches (merci encore Claire), Camille maîtrisant déjà le sujet. Mais malheureusement le voyage est aussi une question de timing. Notre planning n’était pas spécialement ambitieux, on avait même un peu de marge, mais les visites d’ambassades et autres délais non prévus ont eu raison d’elle. Notre temps disponible sur place est désormais de deux malheureux jours, que nous passons à nous reposer un peu de la route épuisante quoique magnifique de la Pamir. La date d’entrée en Chine est trop proche pour tenter des incursions dans le pays et risquer la panne mécanique.

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Nous élisons domicile non loin de Sary-Tash, petit bled situé à quelques kilomètres de la frontière, sous l’œil bienveillant du pic Lénine. Les quelques contacts avec les autochtones sont fort sympathiques et nous découvrons même le concept d’épicerie-bistrot, dans lequel une gamine de 12 ans peut vous servir un verre de vodka pendant que vous achetez votre poids en gaufrettes. Nous rencontrons le ‘groupe de la Chine’ au grand complet (sept voitures et trois motos, soit 17 personnes en tout – les présentations au prochain épisode).

 

Nous quittons la terre et le peuple Kirghize bien déçus de n’avoir pu mieux les connaître mais avec la ferme intention d’y revenir, moins chargés, et de traverser à cheval.

Tadjikistan, l’incontournable

Nos dix premiers jours au Tadjikistan ont été consacrés à la réparation de nos voitures et au repos des organismes. Nous élisons domicile les kinés et nous sur le parking d’un théâtre de Douchanbé, la capitale. L’endroit est parfait pour bricoler, mais pas tellement pour être tranquille – on a en permanence une trentaine de gamins qui nous regardent par dessus l’épaule. C’est marrant au début mais ça devient vite pénible et même dangereux, surtout quand Jojo décide de souder accidentellement mon Leatherman sur son moteur et que des gerbes d’étincelles giclent de son capot. La main du Jojo en gardera des stigmates, et mon couteau aussi. Ça ne serait pas si grave s’il n’avait pas fait la même chose 2 mois avant avec le sien… (y’avait pas option méca à l’école de kiné ?)

En attendant nos loustics et leur carton de pièces de rechange nous filons passer trois jours tranquille au lac d’Hover où nous faisons la connaissance d’un vieux pêcheur hors pair. Mon hérédité m’a permis de voir un paquet de technique de pêche, mais la sienne, jamais vu… On passe des heures à l’observer et essayons de le plagier, avec un couvercle de boîte de conserve en guise de plomb et une aiguille tordue pour tout ameçon; des boulettes confectionnées à l’aide des pâtes au curry trop cuites de ce midi font un appât révolutionnaire: eh ben croyez-le-croyez-le-pas on a pêché deux poissons comme ça, avec les trois poissons que le papi nous a donné tant il avait pitié de nous ça fait cinq !!

Après un petit retour à Douchanbé pour accueillir nos livreurs et finir de préparer les voitures, nous prenons enfin la route vers la fameuse Pamir Highway. Cette route est pour nous tous un moment très attendu. Il en existe plusieurs variantes mais le déroulé sera le suivant: 600km durant lesquels nous longerons la rivière qui marque la frontière Afghane puis 400km d’un plateau à 4000m d’altitude moyenne, avec en bouquet final le plus haut col asphalté du monde – l’Ak-Baïtal – à 4655m. Après 4 mois de cagnard on était tous impatients de retrouver la fraîcheur, on va être servis.

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On passe 15 jours dans des paysages absolument incroyables de beauté, entre gorges, canyons et montagnes. Les bivouacs sont assez hardus à trouver sur le premier tronçon: on se fait virer par les militaires dès qu’on tente une incursion entre la route et la rivière, pour cause de mines et des Talibans sur la rive d’en face.

Nous nous faisons balader par les militaires le soir de l’anniversaire de Jojo et atterrissons devant la maison d’un villageois sur son invitation. Nous perdons le contrôle de la soirée quand arrive ‘ciré jaune’ – un vieux tadjik beurré recto-verso dont personne ne se souvient du nom – qui décide que ce soir, on va chanter. L’avantage d’être au Tadjikistan, c’est que la Vodka coûte à peine plus cher que l’essence; l’inconvénient c’est qu’elle est aussi à peine moins bonne pour la santé, et ça se lit sur le visage de ciré-jaune. Maintenant on peut dire qu’on parle mal Tadjik, mais on le chante très bien !

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La soirée d’anniversaire de Camille, trois jours plus tard, a été nettement moins agîtée. Le lendemain matin un peu plus. On a eu le malheur, en arrivant au bivouac, de demander à des villageois si on pouvait acheter un ou deux kilo de viande fraîche dans les environs – réponse négative. Pour s’excuser de leur réponse, lesdits villageois se sont mis en tête d’abattre une vache au milieu du champs, sous nos yeux, à 20m de Camille qui buvait son thé. Le parfait cadeau d’anniversaire pour une végétarienne ! En une heure l’affaire est pliée, la vache est coupée en morceaux dans deux bassines. Les vaches d’ici sont sensiblement aussi grosses qu’un veau de chez nous mais c’est tout de même impressionnant. On repartira avec 7kg de vache bien fraîche.

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On quittera la frontière Afghane sur un coup d’éclat de nos deux kinés qui, pour faire marrer les copains, décident de braver l’interdit et traverser la rivière pour rallier la terre Afghane et faire une vidéo. L’eau est glacée mais les deux zouaves sont contents d’eux.

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Le plateau à 4000, en plus d’être une ode à la beauté montagnarde, est une véritable épreuve pour les voitures, ça fume blanc, bleu, noir et ça met 15 minutes à démarrer, surtout à 4250m par -11°C avec un gasoil de qualité plus que douteuse…

On atteint les limites mécaniques lors de l’ascension de l’Ak-Baïtal qui n’est finalement asphalté que de réputation – la vue est belle mais Turbo crache ses paquets de clopes.

 

Nous terminerons notre périple sur la route M41 par l’ascension d’un pic culminant à 5080m ! Oui m’sieurs dames ! Camille et moi, bras dessus bras dessous en partant de 4200m – bon c’était dur mais ça valait le coup. Nous avons décidé tous les 6 de baptiser ce pic sans nom le ‘pic des Baroudeurs’ (je sais que c’est pas très panache de baptiser une antécime mais Croze et Whymper l’ayant fait dans les Jorasses, je vois pas pourquoi on pourrait pas nous aussi, non mais des fois !)

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Nous finirons notre périple Tadjik par un très beau bivouac au bord du lac de Karakul.

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La sortie du pays sera marquée par une tentative de racket d’un douanier, qui nous a simplement salué quand on lui a dit qu’on allait juste pas payer son truc mais qu’on allait passer quand même; pas compliqué le type.

Ouzbékistan, un beau coup de vent

Nous arrivons à la frontière Ouzbek la fleur au fusil après avoir mangé notre pain noir Turkmène. C’est assez rigolo, on commence par procéder à la désinfection du véhicule (en gros, on roule dans une flaque d’eau croupie et surtout on paye cher pour ça), puis on passe entre les mains du médecin, enfin d’un douanier à qui on a refilé une blouse blanche, qui prend notre température avec un appareil dont il ne sait pas se servir et consigne le résultat dans un cahier aux pages jaunies (trente six pour moi, et trente cinq sept pour Camille : tout va bien); le mec a l’air satisfait; sont vachement pointilleux sur l’hygiène ici !

Nous passons une nuit à l’hôtel à Bukhara, petite ville emblématique de la route de la soie, très jolie avec notamment un immense minaret en briques ocres. Nous y retrouvons nos 2 joyeux kinés montpellierains partis 4 jours plus tôt que nous pour rejoindre la mer d’Aral, ce qui leur a coûté une roue presque arrachée et 5 jours de tourista aigüe (pas si pointilleux que ça finalement…), ils sont blancs comme des linges et ont plus profité du confort relatif des toilettes que de leur lit mais ils ont toujours la blague facile.

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Nous faisons route vers Samarcande et faisons escale pour la nuit dans un champ de vigne à la tenue approximative. Les villageois défilent pour savoir ce qu’on fait là, on croule sous les invitations à boire le thé et on finit par être invités par le maire de Mitan à prendre le petit déjeuner chez lui, qui de ce qu’on a compris, prime sur toutes les autres. C’est très sympa, on est assez loin du croissant et confiture de fraise mais c’est très bon et l’accueil est fort chaleureux, avec toute la famille . Après une séance photo d’une bonne demie heure nous repartons et faisons étape dans un marché des environs.

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Au moment de repartir nous nous faisons prendre en otage par 2 ouzbeks, déjà bien chargés, assis à une table de la buvette et on se retrouve devant des bières avant même d’avoir eu le temps de dire qu’on devait partir (il est 11h du mat’). On passe une bonne heure à avoir une discussion franco-ouzbek très drôle sous les regards amusés de nos voisins de buvette, manifestement peu habitués à voir des têtes étrangères.

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Nous arrivons à Samarcande, ville encore plus emblématique mais finalement moins jolie parce que devenue trop moderne. Les mosquées et autres caravanserails n’en sont pas moins splendides mais l’authenticité fait cruellement défaut. Nous bivouaquons tous les 6 sur un parking de la ville et laissons partir nos parigourdins vers Tashkent pour rapporter le précieux colis DHL plein de ce qu’il nous faut pour réparer nos voitures au Tadjikistan.

La sortie du pays n’a pas été de tout repos, il nous a fallu écumer trois postes frontières, soit trois cent kilomètres de détour, pour en trouver un ouvert. Nous ferons la rencontre d’un cocker de la taille d’un chat, un peu remuant et envahissant, que j’ai dégagé de la cellule pendant le contrôle des douaniers jusqu’à ce que je comprenne qu’il s’agissait de leur chien renifleur; pas tellement performant l’animal, il n’a même pas trouvé les croquettes que je lui mettais sous le pif.

On serait bien restés plus longtemps, on n’a croisé que des gentils sympas, accueillants et rigolos, mais c’est la vie, l’heure tourne et la date d’entrée en Chine n’est toujours pas négociable.